La Banque Centrale Européenne est piégée comme la Fed

André Marques
March 2, 2022
Comme la Fed, la BCE n'a pas beaucoup de marge pour augmenter les taux d'intérêt sans causer de complications majeures sur le marché financier et l'économie.

Le taux annuel d’inflation des prix de la zone euro a atteint 5 % en décembre 2021 et (au moment d’écrire ces lignes) le consensus est de 5,1 % en janvier 2022. Les prix à la production industrielle de la zone euro ont augmenté de 26,2 % en 2021.

Cela a fait pression sur la Banque centrale européenne (BCE) pour qu’elle adopte une politique monétaire restrictive (ou du moins, moins accommodante). Le 3 février, la BCE a annoncé ses décisions de politique monétaire concernant le Programme d’achat d’urgence en cas de pandémie (PEPP) et le Programme d’achat d’actifs (APP), ses programmes d’achat d’actifs et les taux d’intérêt, sans changement majeur par rapport à l’annonce précédente en décembre.

Le programme d’achat d’urgence en cas de pandémie

Au premier trimestre 2022, la BCE a l’intention de procéder à des achats nets d’actifs via le PEPP à un rythme plus lent qu’au quatrième trimestre 2021 et devrait cesser les achats nets d’actifs fin mars 2022.

Le Conseil des gouverneurs (l’équivalent du Federal Open Market Committee de la Fed) a déclaré que dans des conditions de tension économique, la flexibilité restera un élément de la politique monétaire chaque fois que l’objectif de politique monétaire de la BCE – l’objectif d’inflation des prix “symétrique” de 2 pour cent. Par exemple, en cas de complication du marché liée à une pandémie, les réinvestissements en PEPP peuvent être ajustés de manière flexible dans le temps. Cet ajustement pourrait inclure des achats d’obligations d’État grecques au-delà des reconductions de remboursement afin d’éviter une interruption des achats, ce qui pourrait être préjudiciable à l’économie grecque. Les achats nets dans le cadre du PEPP peuvent également être repris pour contrer les chocs négatifs liés à la pandémie si nécessaire.

Le programme d’achat d’actifs

Conformément à une réduction progressive des achats d’actifs et pour garantir que l’orientation de la politique monétaire reste cohérente avec l’objectif “symétrique” d’inflation des prix, le Conseil des gouverneurs a décidé de fixer un rythme d’achat net de 40 milliards d’euros par mois au deuxième trimestre 2022 et de 30 milliards d’euros milliards par mois au troisième trimestre 2022 dans le cadre de l’APP. À compter d’octobre 2022, le Conseil des gouverneurs a l’intention de maintenir les achats nets d’actifs dans le cadre de l’APP à 20 milliards d’euros par mois « aussi longtemps que nécessaire » pour maintenir la politique accommodante de la BCE. Le Conseil des gouverneurs s’attend à ce que les achats nets se terminent peu de temps avant qu’il ne commence à relever les taux directeurs de la BCE.

Taux d’intérêt

Les taux directeurs de la BCE (taux des opérations principales de refinancement, taux de la facilité de prêt marginal et taux de la facilité de dépôt) resteront inchangés, à 0,00 %, 0,25 % et −0,50 %, respectivement.

Dans le but de maintenir l’objectif d’inflation des prix “symétrique” de 2% et conformément à sa stratégie de politique monétaire, le Conseil des gouverneurs s’attend à ce que les taux d’intérêt directeurs de la BCE restent au niveau actuel ou inférieur jusqu’à ce qu’il voie l’inflation atteindre 2% “à moyen terme”. Cela peut impliquer une période de transition pendant laquelle l’inflation des prix est légèrement supérieure à l’objectif de 2 %.

Le 4 février, le bilan de la BCE dépassait 8 630 milliards d’euros. Depuis 2015, la BCE n’a pas réduit son bilan. Et, depuis 2014, il a maintenu les taux d’intérêt très proches de 0 % (et inférieurs à 0 % dans le cas du taux de la facilité de dépôt).

Graphique 1 : Taux d’intérêt et bilan de la BCE, 2012–22

Source : FRED ; propre élaboration de l’auteur. Note : Le taux des opérations principales de refinancement est la ligne rouge lue contre l’axe de gauche ; le taux de la facilité de prêt marginal est la ligne verte lue contre l’axe de gauche ; le taux de la facilité de dépôt est la ligne bleue lue contre l’axe de gauche ; et le bilan de la BCE est la ligne violette lue contre l’axe de droite.

La BCE est prise au piège

Comme la Fed, la BCE n’a pas beaucoup de marge pour augmenter les taux d’intérêt sans causer de complications majeures sur le marché financier et l’économie. De plus, ses achats d’actifs, principalement des obligations d’État de la zone euro, sont ce qui maintient ses taux d’intérêt artificiellement bas et, par extension, les coûts de financement des déficits budgétaires de ces gouvernements artificiellement bas.

La présidente de la BCE, Christine Lagarde, en réponse à une question sur les spreads de rendement sur les obligations d’État de la zone euro, a déclaré qu’il n’y avait pas de spreads importants. Curieusement, cependant, le simple signal d’une éventuelle hausse des taux d’intérêt pour garantir le taux d’inflation des prix de 2% “à moyen terme” (comme l’a déclaré Lagarde) a fait naître chez les investisseurs et les commerçants l’attente que la BCE relèvera les taux d’intérêt cette année et a conduit à une augmentation des spreads (cf. graphique 2).

Graphique 2 : Spreads Italie-Allemagne (bleu) et Grèce-Allemagne (orange) sur les obligations à dix ans, septembre 2021-février 2022

Source : Tradingview.com. Extrait de Fernando Ulrich, “Inflação recorde no euro pressiona BCE a subir juros arriscando o futuro da moeda única,”, 7 février 2022, vidéo YouTube, 13:19.

Les dettes publiques de l’Italie et de la Grèce sont respectivement de 155,3 % du PIB et de 200,7 % du PIB (données provisoires pour le troisième trimestre 2021), bien au-dessus des 69,4 % du PIB de l’Allemagne. Cette énorme différence reflète le risque plus élevé des obligations italiennes et grecques (par rapport aux obligations allemandes). Le simple signal d’une hausse des taux d’intérêt et d’une baisse des achats d’actifs rend compte de ce risque pour les investisseurs, et les taux d’intérêt des obligations grecques et italiennes augmentent plus que ceux des obligations allemandes (puisqu’une bonne partie de la demande d’obligations grecques et italiennes disparaîtra si la BCE arrête effectivement de les acheter ou même réduit les achats). 

Le graphique suivant montre les rendements des obligations d’État à dix ans de certains pays de la zone euro. A noter qu’avant 2008, dans les premières années de l’euro, il n’y avait pratiquement pas de différence entre les rendements. Cependant, après 2008, il y avait une perception générale du plus grand risque des obligations émises par des pays plus endettés, comme la Grèce, l’Italie, le Portugal, l’Espagne et l’Irlande (qui a le plus abaissé son ratio dette/PIB au cours des années suivantes). Ainsi, alors que ces gouvernements continuaient d’augmenter leurs dépenses, les rendements de leurs obligations ont commencé à augmenter (conduisant finalement à une crise de la dette souveraine et à une récession dans la zone euro). Ce n’est qu’après 2015, lorsque la BCE a lancé son programme d’achat d’actifs, que les écarts se sont à nouveau réduits.

Graphique 3 : Rendements des emprunts publics à dix ans de la zone euro, 1998-2022

Source : Tradingview.com. Remarque : Grèce (orange), Italie (bleu), Portugal (jaune), Allemagne (blanc), France (violet), Pays-Bas (vert), Irlande (rose) et Espagne (rouge).

C’est donc la BCE qui a maintenu artificiellement bas les taux d’intérêt de ces obligations. Ainsi, la BCE n’a pas beaucoup de marge pour augmenter les taux d’intérêt et diminuer (ou cesser) ses achats mensuels d’actifs. Des pays comme le Portugal, l’Espagne, l’Italie et la Grèce, qui ont une dette plus élevée et des gouvernements plus prodigues, sont très dépendants de cette politique monétaire. Et rien n’incite ces gouvernements à réduire suffisamment leurs dépenses et leurs emprunts pour que les intérêts de leurs obligations baissent sans l’intervention de la BCE. Dans le meilleur des cas, les gouvernements réduisent très progressivement leur dette (comme le Portugal l’a fait de 2016 à 2019 et en 2021, après une augmentation significative en 2020).

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